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Fables de la Fontaine (ascii)
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Французский текст без акцентов (ascii).
Автор:
etarassov
Создан:
1 июня 2023 в 15:38
Публичный:
Нет
Тип словаря:
Фразы
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Содержание:
1 L'indulgence que l'on a eue pour quelques-unes de mes fables me donne lieu d'esperer la meme grace pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maitres de notre eloquence n'ait desapprouve le dessein de les mettre en vers. Il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun ; que d'ailleurs la contrainte de la poesie, jointe a la severite de notre langue, m'embarrasseraient en beaucoup d'endroits, et banniraient de la plupart de ces recits la brevete, qu'on peut fort bien appeler l'ame du conte, puisque sans elle il faut necessairement qu'il languisse. Cette opinion ne saurait partir que d'un homme d'excellent gout ; je demanderais seulement qu'il en relachat quelque peu, et qu'il crut que les graces lacedemoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses francaises que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.
2 Apres tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point a consequence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poesie, que le Parnasse a juge ceci de son apanage. A peine les fables qu'on attribue a Esope virent le jour, que Socrate trouva a propos de les habiller des livrees des muses. Ce que Platon en rapporte est si agreable, que je ne puis m'empecher d'en faire un des ornements de cette preface. Il dit que, Socrate etant condamne au dernier supplice, l'on remit l'execution de l'arret, a cause de certaines fetes. Cebes l'alla voir le jour de sa mort. Socrate lui dit que les dieux l'avaient averti plusieurs fois, pendant son sommeil, qu'il devait s'appliquer a la musique avant qu'il mourut. Il n'avait pas entendu d'abord ce que ce songe signifiait : car, comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, a quoi bon s'y attacher ? Il fallait qu'il y eut du mystere la-dessous, d'autant plus que les dieux ne se lassaient point de lui envoyer la meme inspiration. Elle lui etait encore venue une de ces fetes. Si bien qu'en songeant aux choses que le Ciel pouvait exiger de lui, il s'etait avise que la musique et la poesie ont tant de rapport, que possible etait-ce de la derniere qu'il s'agissait. Il n'y a point de bonne poesie sans harmonie ; mais il n'y en a point non plus sans fiction, et Socrate ne savait que dire la verite. Enfin il avait trouve un temperament : c'etait de choisir des fables qui continssent quelque chose de veritable, telles que sont celles d'Esope. Il employa donc a les mettre en vers les derniers moments de sa vie.
3 Socrate n'est pas le seul qui ait considere comme soeurs la poesie et nos fables. Phedre a temoigne qu'il etait de ce sentiment, et par l'excellence de son ouvrage nous pouvons juger de celui du prince des philosophes. Apres Phedre, Avienus a traite le meme sujet. Enfin les modernes les ont suivis : nous en avons des exemples non seulement chez les etrangers, mais chez nous. Il est vrai que lorsque nos gens y ont travaille, la langue etait si differente de ce qu'elle est qu'on ne les doit considerer que comme etrangers. Cela ne m'a point detourne de mon entreprise : au contraire, je me suis flatte de l'esperance que si je ne courais dans cette carriere avec succes, on me donnerait au moins la gloire de l'avoir ouverte.
4 Il arrivera possible que mon travail fera naitre a d'autres personnes l'envie de porter la chose plus loin. Tant s'en faut que cette matiere soit epuisee, qu'il reste encore plus de fables a mettre en vers que je n'en ai mis. J'ai choisi veritablement les meilleures, c'est-a-dire celles qui m'ont semble telles ; mais outre que je puis m'etre trompe dans mon choix, il ne sera pas difficile de donner un autre tour a celles-la meme que j'ai choisies ; et si ce tour est moins long, il sera sans doute plus approuve. Quoi qu'il en arrive, on m'aura toujours obligation : soit que ma temerite ait ete heureuse et que je ne me sois point trop ecarte du chemin qu'il fallait tenir, soit que j'aie seulement excite les autres a mieux faire.
5 Je pense avoir justifie suffisamment mon dessein quant a l'execution, le public en sera juge. On ne trouvera pas ici l'elegance ni l'extreme brievete qui rendent Phedre recommandable ; ce sont qualites au-dessus de ma portee. Comme il m'etait impossible de l'imiter en cela, j'ai cru qu'il fallait en recompense egayer l'ouvrage plus qu'il n'a fait. Non que je le blame d'en etre demeure dans ces termes : la langue latine n'en demandait pas davantage ; et si l'on y veut prendre garde, on reconnaitra dans cet auteur le vrai caractere et le vrai genie de Terence. La simplicite est magnifique chez ces grands hommes ; moi qui n'ai pas les perfections du langage comme ils les ont eues, je ne la puis elever a un si haut point. Il a donc fallu se recompenser d'ailleurs : c'est ce que j'ai fait avec d'autant plus de hardiesse que Quintilien dit qu'on ne saurait trop egayer les narrations. Il ne s'agit pas ici d'en apporter une raison : c'est assez que Quintilien l'ait dit. J'ai pourtant considere que, ces fables etant sues de tout le monde, je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le gout. C'est ce qu'on demande aujourd'hui : on veut de la nouveaute et de la gaiete. Je n'appelle pas gaiete ce qui excite le rire, mais un certain charme, un air agreable, qu'on peut donner a toutes sortes de sujets, meme les plus serieux.
6 Mais ce n'est pas tant par la forme que j'ai donnee a cet ouvrage qu'on en doit mesurer le prix, que par son utilite et par sa matiere. Car qu'y a-t-il de recommandable dans les productions de l'esprit, qui ne se rencontre dans l'apologue ? C'est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l'antiquite ont attribue la plus grande partie de ces fables a Socrate, choisissant pour leur servir de pere celui des mortels qui avait le plus de communication avec les dieux. Je ne sais comme ils n'ont point fait descendre du ciel ces memes fables, et comme ils ne leur ont point assigne un dieu qui en eut la direction, ainsi qu'a la poesie et a l'eloquence. Ce que je dis n'est pas tout a fait sans fondement, puisque, s'il m'est permis de meler ce que nous avons de plus sacre parmi les erreurs du paganisme, nous voyons que la Verite a parle aux hommes par paraboles, et la parabole est-elle autre chose que l'apologue, c'est-a-dire un exemple fabuleux, et qui s'insinue avec d'autant plus de facilite et d'effet qu'il est plus commun et plus familier ? Qui ne nous proposerait a imiter que les maitres de la sagesse nous fournirait un sujet d'excuse ; il n'y en a point quand des abeilles et des fourmis sont capables de cela meme qu'on nous demande.
7 C'est pour ces raisons que Platon, ayant banni Homere de sa republique, y a donne a Esope une place tres honorable. Il souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait, il recommande aux nourrices de les leur apprendre ; car on ne saurait s'accoutumer de trop bonne heure a la sagesse et a la vertu. Plutot que d'etre reduits a corriger nos habitudes, il faut travailler a les rendre bonnes pendant qu'elles sont encore indifferentes au bien ou au mal. Or quelle methode y peut contribuer plus utilement que ces fables ? Dites a un enfant que Crassus, allant contre les Parthes, s'engagea dans leur pays sans considerer comment il en sortirait ; que cela le fit perir, lui et son armee, quelque effort qu'il fit pour se retirer. Dites au meme enfant que le renard et le bouc descendirent au fond d'un puits pour y eteindre leur soif ; que le renard en sortit s'etant servi des epaules et des cornes de son camarade comme d'une echelle ; au contraire, le bouc y demeura pour n'avoir pas eu tant de prevoyance ; et par consequent il faut considerer en toute chose la fin. Je demande lequel de ces deux exemples fera le plus d'impression sur cet enfant : ne s'arretera-t-il pas au dernier, comme plus conforme et moins disproportionne que l'autre a la petitesse de son esprit ? Il ne faut pas m'alleguer que les pensees de l'enfance sont d'elles-memes assez enfantines, sans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries ne sont telles qu'en apparence, car dans le fond elles portent un sens tres solide. Et comme, par la definition du point, de la ligne, de la surface, et par d'autres principes tres familiers, nous parvenons a des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre, de meme aussi, par les raisonnements et consequences que l'on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les moeurs, on se rend capable des grandes choses.
8 Elles ne sont pas seulement morales, elles donnent encore d'autres connaissances. Les proprietes des animaux et leurs divers caracteres y sont exprimes ; par consequent les notres aussi, puisque nous sommes l'abrege de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les creatures irraisonnables. Quand Promethee voulut former l'homme, il prit la qualite dominante de chaque bete : de ces pieces si differentes il composa notre espece ; il fit cet ouvrage qu'on appelle << le petit monde >>. Ainsi ces fables sont un tableau ou chacun de nous se trouve depeint. Ce qu'elles nous representent confirme les personnes d'age avance dans les connaissances que l'usage leur a donnees, et apprend aux enfants ce qu'il faut qu'ils sachent. Comme ces derniers sont nouveaux venus dans le monde, ils n'en connaissent pas encore les habitants, ils ne se connaissent pas eux-memes. On ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu'on peut ; il leur faut apprendre ce que C'est qu'un lion, un renard, ainsi du reste ; et pourquoi l'on compare quelquefois un homme a ce renard ou a ce lion. C'est a quoi les fables travaillent ; les premieres notions de ces choses proviennent d'elles.
9 J'ai deja passe la longueur ordinaire des prefaces, cependant je n'ai pas encore rendu raison de la conduite de mon ouvrage. L'apologue est compose de deux parties, dont on peut appeler l'une le corps, l'autre l'ame. Le corps est la fable ; l'ame, la moralite. Aristote n'admet dans la fable que les animaux ; il en exclut les hommes et les plantes. Cette regle est moins de necessite que de bienseance, puisque ni Esope, ni Phedre, ni aucun des fabulistes, ne l'a gardee : tout au contraire de la moralite, dont aucun ne se dispense. Que s'il m'est arrive de le faire, ce n'a ete que dans les endroits ou elle n'a pu entrer avec grace, et ou il est aise au lecteur de la suppleer. On ne considere en France que ce qui plait ; c'est la grande regle, et pour ainsi dire la seule. Je n'ai donc pas cru que ce fut un crime de passer par-dessus les anciennes coutumes lorsque je ne pouvais les mettre en usage sans leur faire tort. Du temps d'Esope, la fable etait contee simplement, la moralite separee, et toujours en suite. Phedre est venu, qui ne s'est pas assujetti a cet ordre : il embellit la narration, et transporte quelquefois la moralite de la fin au commencement. Quand il serait necessaire de lui trouver place, je ne manque a ce precepte que pour en observer un qui n'est pas moins important. C'est Horace qui nous le donne. Cet auteur ne veut pas qu'un ecrivain s'opiniatre contre l'incapacite de son esprit, ni contre celle de sa matiere. Jamais, a ce qu'il pretend, un homme qui veut reussir n'en vient jusque-la ; il abandonne les choses dont il voit bien qu'il ne saurait rien faire de bon :
10 Et quoe Desperat tractata nitescere posse, relinquit.
11 C'est ce que j'ai fait a l'egard de quelques moralites, du succes desquelles je n'ai pas bien espere.
12 Il ne reste plus qu'a parler de la vie d'Esope. Je ne vois presque personne qui ne tienne pour fabuleuse celle que Planude nous a laissee. On s'imagine que cet auteur a voulu donner a son heros un caractere et des aventures qui repondissent a ses fables. Cela m'a paru d'abord specieux ; mais j'ai trouve a la fin peu de certitude en cette critique. Elle est en partie fondee sur ce qui se passe entre Xantus et Esope ; on y trouve trop de niaiseries, et qui est le sage a qui de pareilles choses n'arrivent point ? Toute la vie de Socrate n'a pas ete serieuse. Ce qui me confirme en mon sentiment, c'est que le caractere que Planude donne a Esope est semblable a celui que Plutarque lui a donne dans son Banquet des sept Sages, c'est-a-dire d'un homme subtil, et qui ne laisse rien passer. On me dira que le Banquet des sept Sages est aussi une invention. Il est aise de douter de tout : quant a moi, je ne vois pas bien pourquoi Plutarque aurait voulu imposer a la posterite dans ce traite-la, lui qui fait profession d'etre veritable partout ailleurs, et de conserver a chacun son caractere. Quand cela serait, je ne saurais que mentir sur la foi d'autrui : me croira-t-on moins que si je m'arrete a la mienne ? Car ce que je puis est de composer un tissu de mes conjectures, lequel j'intitulerai : Vie d'Esope. Quelque vraisemblable que je le rende, on ne s'y assurera pas, et, fable pour fable, le lecteur preferera toujours celle de Planude a la mienne.
13 A Monseigneur le Dauphin
14 Je chante les heros dont Esope est le pere,
15 Troupe de qui l'histoire, encor que mensongere,
16 Contient des verites qui servent de lecons.
17 Tout parle en mon ouvrage, et meme les poissons :
18 Ce qu'ils disent s'adresse a tous tant que nous sommes ;
19 Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.
20 Illustre rejeton d'un prince aime des cieux,
21 Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
22 Et qui faisant flechir les plus superbes tetes,
23 Comptera desormais ses jours par ses conquetes,
24 Quelque autre te dira d'une plus forte voix
25 Les faits de tes aieux et les vertus des rois.
26 Je vais t'entretenir de moindres aventures,
27 Te tracer en ces vers de legeres peintures ;
28 Et si de t'agreer je n'emporte le prix,
29 J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris.
30 La Cigale et la Fourmi
31 La cigale, ayant chante
32 Tout l'ete,
33 Se trouva fort depourvue
34 Quand la bise fut venue.
35 Pas un seul petit morceau
36 De mouche ou de vermisseau
37 Elle alla crier famine
38 Chez la fourmi sa voisine,
39 La priant de lui preter
40 Quelque grain pour subsister
41 Jusqu'a la saison nouvelle
42 << Je vous paierai, lui dit-elle,
43 Avant l'out, foi d'animal,
44 Interet et principal. >>
45 La fourmi n'est pas preteuse ;
46 C'est la son moindre defaut.
47 << Que faisiez-vous au temps chaud ?
48 Dit-elle a cette emprunteuse.
49 - Nuit et jour a tout venant
50 Je chantais, ne vous deplaise.
51 - Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
52 Eh bien : dansez maintenant. >>
53 Le Corbeau et le Renard
54 Maitre corbeau, sur un arbre perche
55 Tenait en son bec un fromage.
56 Maitre renard par l'odeur alleche
57 Lui tint a peu pres ce langage :
58 << He ! bonjour Monsieur du Corbeau
59 Que vous etes joli ! que vous me semblez beau !
60 Sans mentir, si votre ramage
61 Se rapporte a votre plumage
62 Vous etes le phenix des hotes de ces bois >>
63 A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie
64 Et pour montrer sa belle voix
65 Il ouvre un large bec laisse tomber sa proie.
66 Le renard s'en saisit et dit : << Mon bon Monsieur
67 Apprenez que tout flatteur
68 Vit aux depens de celui qui l'ecoute :
69 Cette lecon vaut bien un fromage sans doute. >>
70 Le corbeau honteux et confus
71 Jura mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
72 La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf
73 Une grenouille vit un boeuf
74 Qui lui sembla de belle taille.
75 Elle, qui n'etait pas grosse en tout comme un oeuf,
76 Envieuse, s'etend, et s'enfle et se travaille,
77 Pour egaler l'animal en grosseur,
78 Disant : << Regardez bien, ma soeur ;
79 Est-ce assez ? dites-moi : n'y suis-je point encore ?
80 Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voila ?
81 - Vous n'en approchez point. >> La chetive pecore
82 S'enfla si bien qu'elle creva.
83 Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages.
84 Tout bourgeois veut batir comme les grands seigneurs,
85 Tout prince a des ambassadeurs,
86 Tout marquis veut avoir des pages.
87 Les deux Mulets
88 Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine charge,
89 L'autre portant l'argent de la gabelle.
90 Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
91 N'eut voulu pour beaucoup en etre soulage.
92 Il marchait d'un pas releve,
93 Et faisait sonner sa sonnette :
94 Quand, l'ennemi se presentant,
95 Comme il en voulait a l'argent,
96 Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
97 Le saisit au frein et l'arrete.
98 Le mulet, en se defendant,
99 Se sent perce de coups ; il gemit, il soupire.
100 << Est-ce donc la, dit-il, ce qu'on m'avait promis ?
101 Ce mulet qui me suit du danger se retire ;
102 Et moi j'y tombe et je peris !
103 - Ami, lui dit son camarade,
104 Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi :
105 Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi,
106 Tu ne serais pas si malade. >>
107 Le Loup et le Chien
108 Un loup n'avait que les os et la peau,
109 Tant les chiens faisaient bonne garde.
110 Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
111 Gras, poli, qui s'etait fourvoye par megarde.
112 L'attaquer, le mettre en quartiers,
113 Sire loup l'eut fait volontiers ;
114 Mais il fallait livrer bataille,
115 Et le matin etait de taille
116 A se defendre hardiment.
117 Le loup donc, l'aborde humblement,
118 Entre en propos, et lui fait compliment
119 Sur son embonpoint, qu'il admire.
120 << Il ne tiendra qu'a vous, beau sire,
121 D'etre aussi gras que moi, lui repartit le chien.
122 Quittez les bois, vous ferez bien :
123 Vos pareils y sont miserables,
124 Cancres, heres, et pauvres diables,
125 Dont la condition est de mourir de faim.
126 Car quoi ? rien d'assure ; point de franche lippee ;
127 Tout a la pointe de l'epee.
128 Suivez moi, vous aurez un bien meilleur destin. >>
129 Le loup reprit : << Que me faudra-t-il faire ?
130 -Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens
131 Portant batons et mendiants ;
132 Flatter ceux du logis, a son maitre complaire :
133 Moyennant quoi votre salaire
134 Sera force reliefs de toutes les facons :
135 Os de poulets, os de pigeons,
136 Sans parler de mainte caresse. >>
137 Le loup deja se forge une felicite
138 Qui le fait pleurer de tendresse
139 Chemin faisant, il vit le cou du chien pele.
140 << Qu'est-ce la ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
141 - Mais encor ? - Le collier dont je suis attache
142 De ce que vous voyez est peut-etre la cause.
143 - Attache ? dit le loup : vous ne courez donc pas
144 Ou vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
145 - Il importe si bien, que de tous vos repas
146 Je ne veux en aucune sorte,
147 Et ne voudrais pas meme a ce prix un tresor. >>
148 Cela dit, maitre loup s'enfuit, et court encor.
149 La Genisse, la Chevre et la Brebis en societe avec le Lion
150 La genisse, la chevre et leur soeur la brebis,
151 Avec un fier lion, seigneur du voisinage,
152 Firent societe, dit-on, au temps jadis,
153 Et mirent en commun le gain et le dommage.
154 Dans les lacs de la chevre un cerf se trouva pris.
155 Vers ses associes aussitot elle envoie.
156 Eux venus, le lion par ses ongles compta,
157 Et dit : << Nous sommes quatre a partager la proie >>.
158 Puis, en autant de parts le cerf il depeca ;
159 Prit pour lui la premiere en qualite de sire :
160 << Elle doit etre a moi, dit-il, et la raison,
161 C'est que je m'appelle lion :
162 A cela l'on n'a rien a dire.
163 La seconde, par droit, me doit echoir encor :
164 Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
165 Comme le plus vaillant, je pretends la troisieme.
166 Si quelqu'une de vous touche a la quatrieme,
167 Je l'etranglerai tout d'abord. >>
168 La Besace
169 Jupiter dit un jour : << Que tout ce qui respire
170 S'en vienne comparaitre aux pieds de ma grandeur :
171 Si dans son compose quelqu'un trouve a redire,
172 Il peut le declarer sans peur ;
173 Je mettrai remede a la chose.
174 Venez, singe ; parlez le premier, et pour cause.
175 Voyez ces animaux, faites comparaison
176 De leurs beautes avec les votres.
177 Etes-vous satisfait ? - Moi ? dit-il ; pourquoi non ?
178 N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
179 Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproche ;
180 Mais pour mon frere l'ours, on ne l'a qu'ebauche :
181 Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre. >>
182 L'ours venant la-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
183 Tant s'en faut : de sa forme il se loua tres fort ;
184 Glosa sur l'elephant, dit qu'on pourrait encor
185 Ajouter a sa queue, oter a ses oreilles ;
186 Que c'etait une masse informe et sans beaute.
187 L'elephant etant ecoute,
188 Tout sage qu'il etait, dit des choses pareilles :
189 Il jugea qu'a son appetit
190 Dame baleine etait trop grosse.
191 Dame fourmi trouva le ciron trop petit,
192 Se croyant, pour elle, un colosse.
193 Jupin les renvoya s'etant censures tous,
194 Du reste contents d'eux.
195 Mais parmi les plus fous
196 Notre espece excella ; car tout ce que nous sommes,
197 Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
198 Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :
199 On se voit d'un autre oeil qu'on ne voit son prochain.
200 Le fabricateur souverain
201 Nous crea besaciers tous de meme maniere,
202 Tant ceux du temps passe que du temps d'aujourd'hui :
203 Il fit pour nos defauts la poche de derriere,
204 Et celle de devant pour les defauts d'autrui.
205 L'Hirondelle et les petits Oiseaux
206 Une hirondelle en ses voyages
207 Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
208 Peut avoir beaucoup retenu.
209 Celle-ci prevoyait jusqu'aux moindres orages,
210 Et devant qu'ils ne fussent eclos,
211 Les annoncait aux matelots.
212 Il arriva qu'au temps que le chanvre se seme,
213 Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
214 << Ceci ne me plait pas, dit-elle aux oisillons :
215 Je vous plains, car pour moi, dans ce peril extreme,
216 Je saurai m'eloigner, ou vivre en quelque coin.
217 Voyez-vous cette main qui, par les airs chemine ?
218 Un jour viendra, qui n'est pas loin,
219 Que ce qu'elle repand sera votre ruine.
220 De la naitront engins a vous envelopper,
221 Et lacets pour vous attraper,
222 Enfin, mainte et mainte machine
223 Qui causera dans la saison
224 Votre mort ou votre prison :
225 Gare la cage ou le chaudron !
226 C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,
227 Mangez ce grain et croyez-moi. >>
228 Les oiseaux se moquerent d'elle :
229 Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
230 Quand la cheneviere fut verte,
231 L'hirondelle leur dit : << Arrachez brin a brin
232 Ce qu'a produit ce mauvais grain,
233 Ou soyez surs de votre perte.
234 -Prophete de malheur, babillarde, dit-on,
235 Le bel emploi que tu nous donnes !
236 Il nous faudrait mille personnes
237 Pour eplucher tout ce canton. >>
238 La chanvre etant tout a fait crue,
239 L'hirondelle ajouta : << Ceci ne va pas bien ;
240 Mauvaise graine est tot venue.
241 Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
242 Des que vous verrez que la terre
243 Sera couverte, et qu'a leurs bles
244 Les gens n'etant plus occupes
245 Feront aux oisillons la guerre ;
246 Quand reglingettes et reseaux
247 Attraperont petits oiseaux,
248 Ne volez plus de place en place,
249 Demeurez au logis ou changez de climat :
250 Imitez le canard, la grue ou la becasse.
251 Mais vous n'etes pas en etat
252 De passer, comme nous, les deserts et les ondes,
253 Ni d'aller chercher d'autres mondes ;
254 C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sur,
255 C'est de vous enfermer aux trous de quelque mur. >>
256 Les oisillons, las de l'entendre,
257 Se mirent a jaser aussi confusement
258 Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre
259 Ouvrait la bouche seulement.
260 Il en prit aux uns comme aux autres :
261 Maint oisillon se vit esclave retenu.
262 Nous n'ecoutons d'instincts que ceux qui sont les notres
263 Et ne croyons le mal que quand il est venu.
264 Le Rat de ville et le Rat des champs
265 Autrefois le rat des villes
266 Invita le rat des champs
267 D'une facon fort civile,
268 A des reliefs d'ortolans
269 Sur un tapis de Turquie
270 Le couvert se trouva mis.
271 Je laisse a penser la vie
272 Que firent ces deux amis.
273 Le regal fut fort honnete :
274 Rien ne manquait au festin ;
275 Mais quelqu'un troubla la fete
276 Pendant qu'ils etaient en train.
277 A la porte de la salle
278 Ils entendirent du bruit :
279 Le rat de ville detale,
280 Son camarade le suit.
281 Le bruit cesse, on se retire :
282 Rats en campagne aussitot ;
283 Et le citadin de dire :
284 << Achevons tout notre rot.
285 - C'est assez, dit le rustique ;
286 Demain vous viendrez chez moi.
287 Ce n'est pas que je me pique
288 De tous vos festins de roi ;
289 Mais rien ne vient m'interrompre :
290 Je mange tout a loisir.
291 Adieu donc. Fi du plaisir
292 Que la crainte peut corrompre ! >>
293 Le Loup et l'Agneau
294 La raison du plus fort est toujours la meilleure :
295 Nous l'allons montrer tout a l'heure.
296 Un Agneau se desalterait
297 Dans le courant d'une onde pure.
298 Un loup survient a jeun, qui cherchait aventure,
299 Et que la faim en ces lieux attirait.
300 << Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
301 Dit cet animal plein de rage :
302 Tu seras chatie de ta temerite.
303 - Sire, repond l'agneau, que Votre Majeste
304 Ne se mette pas en colere ;
305 Mais plutot qu'elle considere
306 Que je me vas desalterant
307 Dans le courant,
308 Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
309 Et que par consequent, en aucune facon
310 Je ne puis troubler sa boisson.
311 - Tu la troubles, reprit cette bete cruelle ;
312 Et je sais que de moi tu medis l'an passe.
313 - Comment l'aurais-je fait si je n'etais pas ne ?
314 Reprit l'agneau ; je tette encor ma mere
315 - Si ce n'est toi, c'est donc ton frere.
316 - Je n'en ai point. - C'est donc l'un des tiens ;
317 Car vous ne m'epargnez guere,
318 Vous, vos bergers et vos chiens.
319 On me l'a dit : il faut que je me venge. >>
320 La-dessus, au fond des forets
321 Le loup l'emporte et puis le mange,
322 Sans autre forme de proces.
323 L'Homme et son image
324 Pour M. le Duc de La Rochefoucauld
325 Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
326 Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
327 Il accusait toujours les miroirs d'etre faux,
328 Vivant plus que content dans une erreur profonde.
329 Afin de le guerir, le sort officieux
330 Presentait partout a ses yeux
331 Les conseillers muets dont se servent nos dames :
332 Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
333 Miroirs aux poches des galands,
334 Miroirs aux ceintures des femmes.
335 Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner
336 Aux lieux les plus caches qu'il peut s'imaginer,
337 N'osant plus des miroirs eprouver l'aventure.
338 Mais un canal, forme par une source pure,
339 Se trouve en ces lieux ecartes :
340 Il s'y voit, il se fache, et ses yeux irrites
341 Pensent apercevoir une chimere vaine.
342 Il fait tout ce qu'il peut pour eviter cette eau ;
343 Mais quoi ? Le canal est si beau
344 Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
345 On voit bien ou je veux venir.
346 Je parle a tous ; et cette erreur extreme
347 Est un mal que chacun se plait d'entretenir.
348 Notre ame, c'est cet homme amoureux de lui-meme ;
349 Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
350 Miroirs, de nos defauts les peintres legitimes ;
351 Et quant au canal, c'est celui
352 Que chacun sait, le livre des Maximes.
353 Le Dragon a plusieurs tetes et le Dragon a plusieurs queues
354 Un envoye du Grand Seigneur
355 Preferait, dit l'histoire, un jour chez l'empereur
356 Les forces de son maitre a celles de l'Empire.
357 Un allemand se mit a dire :
358 << Notre prince a des dependants
359 Qui, de leur chef, sont si puissants
360 Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armee. >>
361 Le chiaoux, homme de sens,
362 Lui dit : << Je sais par renommee
363 Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ;
364 Et cela me fait souvenir
365 D'une aventure etrange, et qui pourtant est vraie.
366 J'etais en un lieu sur, lorsque je vis passer
367 Les cent tetes d'une hydre au travers d'une haie.
368 Mon sang commence a se glacer ;
369 Et je crois qu'a moins on s'effraie.
370 Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal :
371 Jamais le corps de l'animal
372 Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
373 Je revais a cette aventure,
374 Quand un autre dragon, qui n'avait qu'un seul chef
375 Et bien plus qu'une queue, a passer se presente.
376 Me voila saisi derechef
377 D'etonnement et d'epouvante.
378 Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi :
379 Rien ne les empecha ; l'un fit chemin a l'autre.
380 Je soutiens qu'il en est ainsi
381 De votre empereur et du notre. >>
382 Les Voleurs et l'Ane
383 Pour un ane enleve deux voleurs se battaient :
384 L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.
385 Tandis que coups de poing trottaient,
386 Et que nos champions songeaient a se defendre,
387 Arrive un troisieme larron
388 Qui saisit maitre Aliboron.
389 L'ane, c'est quelquefois une pauvre province :
390 Les voleurs sont tel ou tel prince,
391 Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois.
392 Au lieu de deux, j'en ai rencontre trois :
393 Il est assez de cette marchandise.
394 De nul d'eux n'est souvent la province conquise :
395 Un quart voleur survient, qui les accorde net
396 En se saisissant du baudet.
397 Simonide preserve par les Dieux
398 On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
399 Les dieux, sa maitresse et son roi.
400 Malherbe le disait, j'y souscris, quant a moi :
401 Ce sont maximes toujours bonnes.
402 La louange chatouille et gagne les esprits.
403 Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payee.
404 Simonide avait entrepris
405 L'eloge d'un athlete ; et la chose essayee,
406 Il trouva son sujet plein de recits tout nus.
407 Les parents de l'athlete etaient gens inconnus ;
408 Son pere, un bon bourgeois ; lui, sans autre merite ;
409 Matiere infertile et petite.
410 Le poete d'abord, parla de son heros.
411 Apres en avoir dit ce qu'il en pouvait dire,
412 Il se jette a cote, se met sur le propos
413 De Castor et Pollux ; ne manque pas d'ecrire
414 Que leur exemple etait aux lutteurs glorieux ;
415 Eleve leurs combats, specifiant les lieux
416 Ou ces freres s'etaient signales davantage ;
417 Enfin l'eloge de ces dieux
418 Faisait les deux tiers de l'ouvrage.
419 L'athlete avait promis d'en payer un talent ;
420 Mais quand il le vit, le galand
421 N'en donna que le tiers ; et dit fort franchement
422 Que Castor et Pollux acquittassent le reste.
423 << Faites vous contenter par ce couple celeste.
424 Je veux vous traiter cependant :
425 Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie :
426 Les convies sont gens choisis,
427 Mes parents, mes meilleurs amis,
428 Soyez donc de la compagnie. >>
429 Simonide promit. Peut-etre qu'il eut peur
430 De perdre, outre son du, le gre de sa louange.
431 Il vient : l'on festine, l'on mange.
432 Chacun etant en belle humeur,
433 Un domestique accourt, l'avertit qu'a la porte
434 Deux hommes demandaient a le voir promptement.
435 Il sort de table ; et la cohorte
436 N'en perd pas un seul coup de dent.
437 Ces deux hommes etaient les gemeaux de l'eloge.
438 Tous deux lui rendent grace, et, pour prix de ses vers,
439 Ils l'avertissent qu'il deloge,
440 Et que cette maison va tomber a l'envers.
441 La prediction en fut vraie.
442 Un pilier manque ; et le plafond
443 Ne trouvant plus rien qui l'etaie,
444 Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
445 N'en fait pas moins aux echansons.
446 Ce ne fut pas le pis, car pour rendre complete
447 La vengeance due au poete,
448 Une poutre cassa les jambes a l'athlete,
449 Et renvoya les convies
450 Pour la plupart estropies.
451 La renommee eut soin de publier l'affaire :
452 Chacun cria miracle.
453 On doubla le salaire
454 Que meritaient les vers d'un homme aime des dieux.
455 Il n'etait fils de bonne mere
456 Qui, les payant a qui mieux mieux,
457 Pour ses ancetres n'en fit faire.
458 Je reviens a mon texte, et dis premierement
459 Qu'on ne saurait manquer de louer largement
460 Les dieux et leurs pareils, de plus que Melpomene
461 Souvent, sans deroger, trafique de sa peine ;
462 Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix.
463 Les grands se font honneur des lors qu'ils nous font grace :
464 Jadis l'Olympe et le Parnasse
465 Etaient freres et bons amis.
466 La Mort et le Malheureux
467 Un malheureux appelait tous les jours
468 La mort a son secours
469 << O Mort, lui disait-il, que tu me sembles belle !
470 Viens vite, viens finir ma fortune cruelle ! >>
471 La mort crut, en venant, l'obliger en effet.
472 Elle frappe a sa porte, elle entre, elle se montre.
473 << Que vois-je ? cria-t-il : otez-moi cet objet ;
474 Qu'il est hideux ! que sa rencontre
475 Me cause d'horreur et d'effroi
476 N'approche pas, o Mort ! o Mort, retire-toi ! >>
477 Mecenas fut un galant homme ;
478 Il a dit quelque part : << Qu'on me rende impotent.
479 Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
480 Je vive, c'est assez, je suis plus que content. >>
481 Ne viens jamais, o Mort ; on t'en dit tout autant.
482 La Mort et le Bucheron
483 Un pauvre bucheron, tout couvert de ramee,
484 Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
485 Gemissant et courbe, marchait a pas pesants,
486 Et tachait de gagner sa chaumine enfumee.
487 Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
488 Il met bas son fagot, il songe a son malheur.
489 Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
490 En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
491 Point de pain quelquefois et jamais de repos.
492 Sa femme, ses enfants, les soldats, les impots,
493 Le creancier et la corvee
494 Lui font d'un malheureux la peinture achevee.
495 Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
496 Lui demande ce qu'il faut faire.
497 << C'est, dit-il, afin de m'aider
498 A recharger ce bois, tu ne tarderas guere. >>
499 Le trepas vient tout guerir ;
500 Mais ne bougeons d'ou nous sommes :
501 Plutot souffrir que mourir,
502 C'est la devise des hommes.
503 L'Homme entre deux ages et ses deux Maitresses
504 Un homme de moyen age,
505 Et tirant sur le grison
506 Jugea qu'il etait saison
507 De songer au mariage.
508 Il avait du comptant,
509 Et partant
510 De quoi choisir ; toutes voulaient lui plaire :
511 En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ;
512 Bien adresser n'est pas petite affaire.
513 Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part :
514 L'une encor verte, et l'autre un peu bien mure,
515 Mais qui reparait par son art
516 Ce qu'avait detruit la nature.
517 Ces deux veuves, en badinant,
518 En riant, en lui faisant fete,
519 L'allaient quelquefois testonnant,
520 C'est a dire ajustant sa tete.
521 La vieille, a tous moments, de sa part emportait
522 Un peu du poil noir qui restait
523 Afin que son amant en fut plus a sa guise.
524 La jeune saccageait les poils blancs a son tour.
525 Toutes deux firent tant, que notre tete grise
526 Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
527 << Je vous rends, leur dit-il, mille graces, les belles,
528 Qui m'avez si bien tondu :
529 J'ai plus gagne que perdu ;
530 Car d'hymen point de nouvelles.
531 Celle que je prendrais voudrait qu'a sa facon
532 Je vecusse, et non a la mienne.
533 Il n'est tete chauve qui tienne.
534 Je vous suis oblige, belles, de la lecon. >>
535 Le Renard et la Cigogne
536 Compere le renard se mit un jour en frais,
537 Et retint a diner commere la cigogne.
538 Le regal fut petit et sans beaucoup d'apprets :
539 Le galand, pour toute besogne,
540 Avait un brouet clair : il vivait chichement.
541 Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
542 La cigogne au long bec n'en put attraper miette,
543 Et le drole eut lape le tout en un moment.
544 Pour se venger de cette tromperie,
545 A quelque temps de la, la cigogne le prie.
546 << Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis,
547 Je ne fais point ceremonie. >>
548 A l'heure dite, il courut au logis
549 De la cigogne son hotesse ;
550 Loua tres fort sa politesse ;
551 Trouva le diner cuit a point :
552 Bon appetit surtout, renards n'en manquent point.
553 Il se rejouissait a l'odeur de la viande
554 Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
555 On servit, pour l'embarrasser,
556 En un vase a long col et d'etroite embouchure.
557 Le bec de la cigogne y pouvait bien passer ;
558 Mais le museau du sire etait d'autre mesure.
559 Il lui fallut a jeun retourner au logis,
560 Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
561 Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
562 Trompeurs, c'est pour vous que j'ecris :
563 Attendez-vous a la pareille.
564 L'Enfant et le Maitre d'ecole
565 Dans ce recit je pretends faire voir
566 D'un certain sot la remontrance vaine.
567 Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir
568 En badinant sur les bords de la Seine.
569 Le ciel permit qu'un saule se trouva,
570 Dont le branchage, apres Dieu, le sauva.
571 S'etant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
572 Par cet endroit passe un maitre d'ecole ;
573 L'enfant lui crie : << Au secours, je peris. >>
574 Le magister, se tournant a ses cris,
575 D'un ton fort grave a contretemps s'avise
576 De le tancer : << Ah ! le petit babouin !
577 Voyez, dit-il, ou l'a mis sa sottise !
578 Et puis, prenez de tels fripons le soin.
579 Que les parents sont malheureux qu'il faille
580 Toujours veiller a semblable canaille !
581 Qu'ils ont de maux ! et que je plains leur sort. >>
582 Ayant tout dit, il mit l'enfant a bord.
583 Je blame ici plus de gens qu'on ne pense.
584 Tout babillard, tout censeur, tout pedant
585 Se peut connaitre au discours que j'avance.
586 Chacun des trois fait un peuple fort grand :
587 Le createur en a beni l'engeance.
588 En toute affaire ils ne font que songer
589 Aux moyens d'exercer leur langue.
590 Eh ! mon ami, tire-moi du danger,
591 Tu feras apres ta harangue.
592 Le Coq et la Perle
593 Un jour un coq detourna
594 Une perle qu'il donna
595 Au beau premier lapidaire.
596 << Je la crois fine, dit-il ;
597 Mais le moindre grain de mil
598 Serait bien mieux mon affaire. >>
599 Un ignorant herita
600 D'un manuscrit qu'il porta
601 Chez son voisin le libraire.
602 << Je crois, dit-il qu'il est bon ;
603 Mais le moindre ducaton
604 Serait bien mieux mon affaire. >>
605 Les Frelons et les Mouches a miel
606 A l'oeuvre on connait l'artisan.
607 Quelques rayons de miel sans maitre se trouverent :
608 Des frelons les reclamerent ;
609 Des abeilles s'opposant,
610 Devant certaine guepe on traduisit la cause.
611 Il etait malaise de decider la chose :
612 Les temoins deposaient qu'autour de ces rayons
613 Des animaux ailes, bourdonnant, un peu longs,
614 De couleur fort tannee, et tels que les abeilles,
615 Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les frelons
616 Ces enseignes etaient pareilles.
617 La guepe, ne sachant que dire a ces raisons,
618 Fit enquete nouvelle, et pour plus de lumiere,
619 Entendit une fourmiliere.
620 Le point n'en put etre eclairci.
621 << De grace, a quoi bon tout ceci ?
622 Dit une abeille fort prudente.
623 Depuis tantot six mois que la cause est pendante,
624 Nous voici comme aux premiers jours.
625 Pendant cela le miel se gate.
626 Il est temps desormais que le juge se hate :
627 N'a-t-il point assez leche l'ours ?
628 Sans tant de contredits, et d'interlocutoires,
629 Et de fatras et de grimoires,
630 Travaillons, les frelons et nous :
631 On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
632 Des cellules si bien baties >>
633 Le refus des frelons fit voir
634 Que cet art passait leur savoir ;
635 Et la guepe adjugea le miel a leurs parties.
636 Plut a Dieu qu'on reglat ainsi tous les proces :
637 Que des turcs en cela l'on suivit la methode !
638 Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code :
639 Il ne faudrait point tant de frais ;
640 Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
641 On nous mine par des longueurs ;
642 On fait tant, a la fin, que l'huitre est pour le juge,
643 Les ecailles pour les plaideurs.
644 Le Chene et le Roseau
645 Le chene un jour dit au roseau :
646 << Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
647 Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
648 Le moindre vent qui d'aventure
649 Fait rider la face de l'eau,
650 Vous oblige a baisser la tete.
651 Cependant que mon front, au Caucase pareil,
652 Non content d'arreter les rayons du soleil,
653 Brave l'effort de la tempete.
654 Tout vous est aquilon, tout me semble zephyr.
655 Encor si vous naissiez a l'abri du feuillage
656 Dont je couvre le voisinage,
657 Vous n'auriez pas tant a souffrir :
658 Je vous defendrai de l'orage ;
659 Mais vous naissez le plus souvent
660 Sur les humides bords des royaumes du vent.
661 La nature envers vous me semble bien injuste.
662 - Votre compassion, lui repondit l'arbuste,
663 Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci :
664 Les vents me sont moins qu'a vous redoutables ;
665 Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
666 Contre leurs coups epouvantables
667 Resiste sans courber le dos ;
668 Mais attendons la fin. >> Comme il disait ces mots,
669 Du bout de l'horizon accourt avec furie
670 Le plus terrible des enfants
671 Que le nord eut porte jusque la dans ses flancs.
672 L'arbre tient bon ; le roseau plie.
673 Le vent redouble ses efforts,
674 Et fait si bien qu'il deracine
675 Celui de qui la tete au ciel etait voisine,
676 Et dont les pieds touchaient a l'empire des morts.

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