| 1 |
L'indulgence que l'on a eue pour quelques-unes de mes fables me donne lieu d'esperer la meme grace pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maitres de notre eloquence n'ait desapprouve le dessein de les mettre en vers. Il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun ; que d'ailleurs la contrainte de la poesie, jointe a la severite de notre langue, m'embarrasseraient en beaucoup d'endroits, et banniraient de la plupart de ces recits la brevete, qu'on peut fort bien appeler l'ame du conte, puisque sans elle il faut necessairement qu'il languisse. Cette opinion ne saurait partir que d'un homme d'excellent gout ; je demanderais seulement qu'il en relachat quelque peu, et qu'il crut que les graces lacedemoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses francaises que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie. |
| 2 |
Apres tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point a consequence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poesie, que le Parnasse a juge ceci de son apanage. A peine les fables qu'on attribue a Esope virent le jour, que Socrate trouva a propos de les habiller des livrees des muses. Ce que Platon en rapporte est si agreable, que je ne puis m'empecher d'en faire un des ornements de cette preface. Il dit que, Socrate etant condamne au dernier supplice, l'on remit l'execution de l'arret, a cause de certaines fetes. Cebes l'alla voir le jour de sa mort. Socrate lui dit que les dieux l'avaient averti plusieurs fois, pendant son sommeil, qu'il devait s'appliquer a la musique avant qu'il mourut. Il n'avait pas entendu d'abord ce que ce songe signifiait : car, comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, a quoi bon s'y attacher ? Il fallait qu'il y eut du mystere la-dessous, d'autant plus que les dieux ne se lassaient point de lui envoyer la meme inspiration. Elle lui etait encore venue une de ces fetes. Si bien qu'en songeant aux choses que le Ciel pouvait exiger de lui, il s'etait avise que la musique et la poesie ont tant de rapport, que possible etait-ce de la derniere qu'il s'agissait. Il n'y a point de bonne poesie sans harmonie ; mais il n'y en a point non plus sans fiction, et Socrate ne savait que dire la verite. Enfin il avait trouve un temperament : c'etait de choisir des fables qui continssent quelque chose de veritable, telles que sont celles d'Esope. Il employa donc a les mettre en vers les derniers moments de sa vie. |
| 3 |
Socrate n'est pas le seul qui ait considere comme soeurs la poesie et nos fables. Phedre a temoigne qu'il etait de ce sentiment, et par l'excellence de son ouvrage nous pouvons juger de celui du prince des philosophes. Apres Phedre, Avienus a traite le meme sujet. Enfin les modernes les ont suivis : nous en avons des exemples non seulement chez les etrangers, mais chez nous. Il est vrai que lorsque nos gens y ont travaille, la langue etait si differente de ce qu'elle est qu'on ne les doit considerer que comme etrangers. Cela ne m'a point detourne de mon entreprise : au contraire, je me suis flatte de l'esperance que si je ne courais dans cette carriere avec succes, on me donnerait au moins la gloire de l'avoir ouverte. |
| 4 |
Il arrivera possible que mon travail fera naitre a d'autres personnes l'envie de porter la chose plus loin. Tant s'en faut que cette matiere soit epuisee, qu'il reste encore plus de fables a mettre en vers que je n'en ai mis. J'ai choisi veritablement les meilleures, c'est-a-dire celles qui m'ont semble telles ; mais outre que je puis m'etre trompe dans mon choix, il ne sera pas difficile de donner un autre tour a celles-la meme que j'ai choisies ; et si ce tour est moins long, il sera sans doute plus approuve. Quoi qu'il en arrive, on m'aura toujours obligation : soit que ma temerite ait ete heureuse et que je ne me sois point trop ecarte du chemin qu'il fallait tenir, soit que j'aie seulement excite les autres a mieux faire. |
| 5 |
Je pense avoir justifie suffisamment mon dessein quant a l'execution, le public en sera juge. On ne trouvera pas ici l'elegance ni l'extreme brievete qui rendent Phedre recommandable ; ce sont qualites au-dessus de ma portee. Comme il m'etait impossible de l'imiter en cela, j'ai cru qu'il fallait en recompense egayer l'ouvrage plus qu'il n'a fait. Non que je le blame d'en etre demeure dans ces termes : la langue latine n'en demandait pas davantage ; et si l'on y veut prendre garde, on reconnaitra dans cet auteur le vrai caractere et le vrai genie de Terence. La simplicite est magnifique chez ces grands hommes ; moi qui n'ai pas les perfections du langage comme ils les ont eues, je ne la puis elever a un si haut point. Il a donc fallu se recompenser d'ailleurs : c'est ce que j'ai fait avec d'autant plus de hardiesse que Quintilien dit qu'on ne saurait trop egayer les narrations. Il ne s'agit pas ici d'en apporter une raison : c'est assez que Quintilien l'ait dit. J'ai pourtant considere que, ces fables etant sues de tout le monde, je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le gout. C'est ce qu'on demande aujourd'hui : on veut de la nouveaute et de la gaiete. Je n'appelle pas gaiete ce qui excite le rire, mais un certain charme, un air agreable, qu'on peut donner a toutes sortes de sujets, meme les plus serieux. |
| 6 |
Mais ce n'est pas tant par la forme que j'ai donnee a cet ouvrage qu'on en doit mesurer le prix, que par son utilite et par sa matiere. Car qu'y a-t-il de recommandable dans les productions de l'esprit, qui ne se rencontre dans l'apologue ? C'est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l'antiquite ont attribue la plus grande partie de ces fables a Socrate, choisissant pour leur servir de pere celui des mortels qui avait le plus de communication avec les dieux. Je ne sais comme ils n'ont point fait descendre du ciel ces memes fables, et comme ils ne leur ont point assigne un dieu qui en eut la direction, ainsi qu'a la poesie et a l'eloquence. Ce que je dis n'est pas tout a fait sans fondement, puisque, s'il m'est permis de meler ce que nous avons de plus sacre parmi les erreurs du paganisme, nous voyons que la Verite a parle aux hommes par paraboles, et la parabole est-elle autre chose que l'apologue, c'est-a-dire un exemple fabuleux, et qui s'insinue avec d'autant plus de facilite et d'effet qu'il est plus commun et plus familier ? Qui ne nous proposerait a imiter que les maitres de la sagesse nous fournirait un sujet d'excuse ; il n'y en a point quand des abeilles et des fourmis sont capables de cela meme qu'on nous demande. |
| 7 |
C'est pour ces raisons que Platon, ayant banni Homere de sa republique, y a donne a Esope une place tres honorable. Il souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait, il recommande aux nourrices de les leur apprendre ; car on ne saurait s'accoutumer de trop bonne heure a la sagesse et a la vertu. Plutot que d'etre reduits a corriger nos habitudes, il faut travailler a les rendre bonnes pendant qu'elles sont encore indifferentes au bien ou au mal. Or quelle methode y peut contribuer plus utilement que ces fables ? Dites a un enfant que Crassus, allant contre les Parthes, s'engagea dans leur pays sans considerer comment il en sortirait ; que cela le fit perir, lui et son armee, quelque effort qu'il fit pour se retirer. Dites au meme enfant que le renard et le bouc descendirent au fond d'un puits pour y eteindre leur soif ; que le renard en sortit s'etant servi des epaules et des cornes de son camarade comme d'une echelle ; au contraire, le bouc y demeura pour n'avoir pas eu tant de prevoyance ; et par consequent il faut considerer en toute chose la fin. Je demande lequel de ces deux exemples fera le plus d'impression sur cet enfant : ne s'arretera-t-il pas au dernier, comme plus conforme et moins disproportionne que l'autre a la petitesse de son esprit ? Il ne faut pas m'alleguer que les pensees de l'enfance sont d'elles-memes assez enfantines, sans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries ne sont telles qu'en apparence, car dans le fond elles portent un sens tres solide. Et comme, par la definition du point, de la ligne, de la surface, et par d'autres principes tres familiers, nous parvenons a des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre, de meme aussi, par les raisonnements et consequences que l'on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les moeurs, on se rend capable des grandes choses. |
| 8 |
Elles ne sont pas seulement morales, elles donnent encore d'autres connaissances. Les proprietes des animaux et leurs divers caracteres y sont exprimes ; par consequent les notres aussi, puisque nous sommes l'abrege de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les creatures irraisonnables. Quand Promethee voulut former l'homme, il prit la qualite dominante de chaque bete : de ces pieces si differentes il composa notre espece ; il fit cet ouvrage qu'on appelle << le petit monde >>. Ainsi ces fables sont un tableau ou chacun de nous se trouve depeint. Ce qu'elles nous representent confirme les personnes d'age avance dans les connaissances que l'usage leur a donnees, et apprend aux enfants ce qu'il faut qu'ils sachent. Comme ces derniers sont nouveaux venus dans le monde, ils n'en connaissent pas encore les habitants, ils ne se connaissent pas eux-memes. On ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu'on peut ; il leur faut apprendre ce que C'est qu'un lion, un renard, ainsi du reste ; et pourquoi l'on compare quelquefois un homme a ce renard ou a ce lion. C'est a quoi les fables travaillent ; les premieres notions de ces choses proviennent d'elles. |
| 9 |
J'ai deja passe la longueur ordinaire des prefaces, cependant je n'ai pas encore rendu raison de la conduite de mon ouvrage. L'apologue est compose de deux parties, dont on peut appeler l'une le corps, l'autre l'ame. Le corps est la fable ; l'ame, la moralite. Aristote n'admet dans la fable que les animaux ; il en exclut les hommes et les plantes. Cette regle est moins de necessite que de bienseance, puisque ni Esope, ni Phedre, ni aucun des fabulistes, ne l'a gardee : tout au contraire de la moralite, dont aucun ne se dispense. Que s'il m'est arrive de le faire, ce n'a ete que dans les endroits ou elle n'a pu entrer avec grace, et ou il est aise au lecteur de la suppleer. On ne considere en France que ce qui plait ; c'est la grande regle, et pour ainsi dire la seule. Je n'ai donc pas cru que ce fut un crime de passer par-dessus les anciennes coutumes lorsque je ne pouvais les mettre en usage sans leur faire tort. Du temps d'Esope, la fable etait contee simplement, la moralite separee, et toujours en suite. Phedre est venu, qui ne s'est pas assujetti a cet ordre : il embellit la narration, et transporte quelquefois la moralite de la fin au commencement. Quand il serait necessaire de lui trouver place, je ne manque a ce precepte que pour en observer un qui n'est pas moins important. C'est Horace qui nous le donne. Cet auteur ne veut pas qu'un ecrivain s'opiniatre contre l'incapacite de son esprit, ni contre celle de sa matiere. Jamais, a ce qu'il pretend, un homme qui veut reussir n'en vient jusque-la ; il abandonne les choses dont il voit bien qu'il ne saurait rien faire de bon : |
| 10 |
Et quoe Desperat tractata nitescere posse, relinquit. |
| 11 |
C'est ce que j'ai fait a l'egard de quelques moralites, du succes desquelles je n'ai pas bien espere. |
| 12 |
Il ne reste plus qu'a parler de la vie d'Esope. Je ne vois presque personne qui ne tienne pour fabuleuse celle que Planude nous a laissee. On s'imagine que cet auteur a voulu donner a son heros un caractere et des aventures qui repondissent a ses fables. Cela m'a paru d'abord specieux ; mais j'ai trouve a la fin peu de certitude en cette critique. Elle est en partie fondee sur ce qui se passe entre Xantus et Esope ; on y trouve trop de niaiseries, et qui est le sage a qui de pareilles choses n'arrivent point ? Toute la vie de Socrate n'a pas ete serieuse. Ce qui me confirme en mon sentiment, c'est que le caractere que Planude donne a Esope est semblable a celui que Plutarque lui a donne dans son Banquet des sept Sages, c'est-a-dire d'un homme subtil, et qui ne laisse rien passer. On me dira que le Banquet des sept Sages est aussi une invention. Il est aise de douter de tout : quant a moi, je ne vois pas bien pourquoi Plutarque aurait voulu imposer a la posterite dans ce traite-la, lui qui fait profession d'etre veritable partout ailleurs, et de conserver a chacun son caractere. Quand cela serait, je ne saurais que mentir sur la foi d'autrui : me croira-t-on moins que si je m'arrete a la mienne ? Car ce que je puis est de composer un tissu de mes conjectures, lequel j'intitulerai : Vie d'Esope. Quelque vraisemblable que je le rende, on ne s'y assurera pas, et, fable pour fable, le lecteur preferera toujours celle de Planude a la mienne. |
| 13 |
A Monseigneur le Dauphin |
| 14 |
Je chante les heros dont Esope est le pere, |
| 15 |
Troupe de qui l'histoire, encor que mensongere, |
| 16 |
Contient des verites qui servent de lecons. |
| 17 |
Tout parle en mon ouvrage, et meme les poissons : |
| 18 |
Ce qu'ils disent s'adresse a tous tant que nous sommes ; |
| 19 |
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes. |
| 20 |
Illustre rejeton d'un prince aime des cieux, |
| 21 |
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux, |
| 22 |
Et qui faisant flechir les plus superbes tetes, |
| 23 |
Comptera desormais ses jours par ses conquetes, |
| 24 |
Quelque autre te dira d'une plus forte voix |
| 25 |
Les faits de tes aieux et les vertus des rois. |
| 26 |
Je vais t'entretenir de moindres aventures, |
| 27 |
Te tracer en ces vers de legeres peintures ; |
| 28 |
Et si de t'agreer je n'emporte le prix, |
| 29 |
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris. |
| 30 |
La Cigale et la Fourmi |
| 31 |
La cigale, ayant chante |
| 32 |
Tout l'ete, |
| 33 |
Se trouva fort depourvue |
| 34 |
Quand la bise fut venue. |
| 35 |
Pas un seul petit morceau |
| 36 |
De mouche ou de vermisseau |
| 37 |
Elle alla crier famine |
| 38 |
Chez la fourmi sa voisine, |
| 39 |
La priant de lui preter |
| 40 |
Quelque grain pour subsister |
| 41 |
Jusqu'a la saison nouvelle |
| 42 |
<< Je vous paierai, lui dit-elle, |
| 43 |
Avant l'out, foi d'animal, |
| 44 |
Interet et principal. >> |
| 45 |
La fourmi n'est pas preteuse ; |
| 46 |
C'est la son moindre defaut. |
| 47 |
<< Que faisiez-vous au temps chaud ? |
| 48 |
Dit-elle a cette emprunteuse. |
| 49 |
- Nuit et jour a tout venant |
| 50 |
Je chantais, ne vous deplaise. |
| 51 |
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise. |
| 52 |
Eh bien : dansez maintenant. >> |
| 53 |
Le Corbeau et le Renard |
| 54 |
Maitre corbeau, sur un arbre perche |
| 55 |
Tenait en son bec un fromage. |
| 56 |
Maitre renard par l'odeur alleche |
| 57 |
Lui tint a peu pres ce langage : |
| 58 |
<< He ! bonjour Monsieur du Corbeau |
| 59 |
Que vous etes joli ! que vous me semblez beau ! |
| 60 |
Sans mentir, si votre ramage |
| 61 |
Se rapporte a votre plumage |
| 62 |
Vous etes le phenix des hotes de ces bois >> |
| 63 |
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie |
| 64 |
Et pour montrer sa belle voix |
| 65 |
Il ouvre un large bec laisse tomber sa proie. |
| 66 |
Le renard s'en saisit et dit : << Mon bon Monsieur |
| 67 |
Apprenez que tout flatteur |
| 68 |
Vit aux depens de celui qui l'ecoute : |
| 69 |
Cette lecon vaut bien un fromage sans doute. >> |
| 70 |
Le corbeau honteux et confus |
| 71 |
Jura mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. |
| 72 |
La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf |
| 73 |
Une grenouille vit un boeuf |
| 74 |
Qui lui sembla de belle taille. |
| 75 |
Elle, qui n'etait pas grosse en tout comme un oeuf, |
| 76 |
Envieuse, s'etend, et s'enfle et se travaille, |
| 77 |
Pour egaler l'animal en grosseur, |
| 78 |
Disant : << Regardez bien, ma soeur ; |
| 79 |
Est-ce assez ? dites-moi : n'y suis-je point encore ? |
| 80 |
Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voila ? |
| 81 |
- Vous n'en approchez point. >> La chetive pecore |
| 82 |
S'enfla si bien qu'elle creva. |
| 83 |
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages. |
| 84 |
Tout bourgeois veut batir comme les grands seigneurs, |
| 85 |
Tout prince a des ambassadeurs, |
| 86 |
Tout marquis veut avoir des pages. |
| 87 |
Les deux Mulets |
| 88 |
Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine charge, |
| 89 |
L'autre portant l'argent de la gabelle. |
| 90 |
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle, |
| 91 |
N'eut voulu pour beaucoup en etre soulage. |
| 92 |
Il marchait d'un pas releve, |
| 93 |
Et faisait sonner sa sonnette : |
| 94 |
Quand, l'ennemi se presentant, |
| 95 |
Comme il en voulait a l'argent, |
| 96 |
Sur le mulet du fisc une troupe se jette, |
| 97 |
Le saisit au frein et l'arrete. |
| 98 |
Le mulet, en se defendant, |
| 99 |
Se sent perce de coups ; il gemit, il soupire. |
| 100 |
<< Est-ce donc la, dit-il, ce qu'on m'avait promis ? |
| 101 |
Ce mulet qui me suit du danger se retire ; |
| 102 |
Et moi j'y tombe et je peris ! |
| 103 |
- Ami, lui dit son camarade, |
| 104 |
Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi : |
| 105 |
Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi, |
| 106 |
Tu ne serais pas si malade. >> |
| 107 |
Le Loup et le Chien |
| 108 |
Un loup n'avait que les os et la peau, |
| 109 |
Tant les chiens faisaient bonne garde. |
| 110 |
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau, |
| 111 |
Gras, poli, qui s'etait fourvoye par megarde. |
| 112 |
L'attaquer, le mettre en quartiers, |
| 113 |
Sire loup l'eut fait volontiers ; |
| 114 |
Mais il fallait livrer bataille, |
| 115 |
Et le matin etait de taille |
| 116 |
A se defendre hardiment. |
| 117 |
Le loup donc, l'aborde humblement, |
| 118 |
Entre en propos, et lui fait compliment |
| 119 |
Sur son embonpoint, qu'il admire. |
| 120 |
<< Il ne tiendra qu'a vous, beau sire, |
| 121 |
D'etre aussi gras que moi, lui repartit le chien. |
| 122 |
Quittez les bois, vous ferez bien : |
| 123 |
Vos pareils y sont miserables, |
| 124 |
Cancres, heres, et pauvres diables, |
| 125 |
Dont la condition est de mourir de faim. |
| 126 |
Car quoi ? rien d'assure ; point de franche lippee ; |
| 127 |
Tout a la pointe de l'epee. |
| 128 |
Suivez moi, vous aurez un bien meilleur destin. >> |
| 129 |
Le loup reprit : << Que me faudra-t-il faire ? |
| 130 |
-Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens |
| 131 |
Portant batons et mendiants ; |
| 132 |
Flatter ceux du logis, a son maitre complaire : |
| 133 |
Moyennant quoi votre salaire |
| 134 |
Sera force reliefs de toutes les facons : |
| 135 |
Os de poulets, os de pigeons, |
| 136 |
Sans parler de mainte caresse. >> |
| 137 |
Le loup deja se forge une felicite |
| 138 |
Qui le fait pleurer de tendresse |
| 139 |
Chemin faisant, il vit le cou du chien pele. |
| 140 |
<< Qu'est-ce la ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose. |
| 141 |
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attache |
| 142 |
De ce que vous voyez est peut-etre la cause. |
| 143 |
- Attache ? dit le loup : vous ne courez donc pas |
| 144 |
Ou vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ? |
| 145 |
- Il importe si bien, que de tous vos repas |
| 146 |
Je ne veux en aucune sorte, |
| 147 |
Et ne voudrais pas meme a ce prix un tresor. >> |
| 148 |
Cela dit, maitre loup s'enfuit, et court encor. |
| 149 |
La Genisse, la Chevre et la Brebis en societe avec le Lion |
| 150 |
La genisse, la chevre et leur soeur la brebis, |
| 151 |
Avec un fier lion, seigneur du voisinage, |
| 152 |
Firent societe, dit-on, au temps jadis, |
| 153 |
Et mirent en commun le gain et le dommage. |
| 154 |
Dans les lacs de la chevre un cerf se trouva pris. |
| 155 |
Vers ses associes aussitot elle envoie. |
| 156 |
Eux venus, le lion par ses ongles compta, |
| 157 |
Et dit : << Nous sommes quatre a partager la proie >>. |
| 158 |
Puis, en autant de parts le cerf il depeca ; |
| 159 |
Prit pour lui la premiere en qualite de sire : |
| 160 |
<< Elle doit etre a moi, dit-il, et la raison, |
| 161 |
C'est que je m'appelle lion : |
| 162 |
A cela l'on n'a rien a dire. |
| 163 |
La seconde, par droit, me doit echoir encor : |
| 164 |
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort. |
| 165 |
Comme le plus vaillant, je pretends la troisieme. |
| 166 |
Si quelqu'une de vous touche a la quatrieme, |
| 167 |
Je l'etranglerai tout d'abord. >> |
| 168 |
La Besace |
| 169 |
Jupiter dit un jour : << Que tout ce qui respire |
| 170 |
S'en vienne comparaitre aux pieds de ma grandeur : |
| 171 |
Si dans son compose quelqu'un trouve a redire, |
| 172 |
Il peut le declarer sans peur ; |
| 173 |
Je mettrai remede a la chose. |
| 174 |
Venez, singe ; parlez le premier, et pour cause. |
| 175 |
Voyez ces animaux, faites comparaison |
| 176 |
De leurs beautes avec les votres. |
| 177 |
Etes-vous satisfait ? - Moi ? dit-il ; pourquoi non ? |
| 178 |
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ? |
| 179 |
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproche ; |
| 180 |
Mais pour mon frere l'ours, on ne l'a qu'ebauche : |
| 181 |
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre. >> |
| 182 |
L'ours venant la-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre. |
| 183 |
Tant s'en faut : de sa forme il se loua tres fort ; |
| 184 |
Glosa sur l'elephant, dit qu'on pourrait encor |
| 185 |
Ajouter a sa queue, oter a ses oreilles ; |
| 186 |
Que c'etait une masse informe et sans beaute. |
| 187 |
L'elephant etant ecoute, |
| 188 |
Tout sage qu'il etait, dit des choses pareilles : |
| 189 |
Il jugea qu'a son appetit |
| 190 |
Dame baleine etait trop grosse. |
| 191 |
Dame fourmi trouva le ciron trop petit, |
| 192 |
Se croyant, pour elle, un colosse. |
| 193 |
Jupin les renvoya s'etant censures tous, |
| 194 |
Du reste contents d'eux. |
| 195 |
Mais parmi les plus fous |
| 196 |
Notre espece excella ; car tout ce que nous sommes, |
| 197 |
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous, |
| 198 |
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes : |
| 199 |
On se voit d'un autre oeil qu'on ne voit son prochain. |
| 200 |
Le fabricateur souverain |
| 201 |
Nous crea besaciers tous de meme maniere, |
| 202 |
Tant ceux du temps passe que du temps d'aujourd'hui : |
| 203 |
Il fit pour nos defauts la poche de derriere, |
| 204 |
Et celle de devant pour les defauts d'autrui. |
| 205 |
L'Hirondelle et les petits Oiseaux |
| 206 |
Une hirondelle en ses voyages |
| 207 |
Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu |
| 208 |
Peut avoir beaucoup retenu. |
| 209 |
Celle-ci prevoyait jusqu'aux moindres orages, |
| 210 |
Et devant qu'ils ne fussent eclos, |
| 211 |
Les annoncait aux matelots. |
| 212 |
Il arriva qu'au temps que le chanvre se seme, |
| 213 |
Elle vit un manant en couvrir maints sillons. |
| 214 |
<< Ceci ne me plait pas, dit-elle aux oisillons : |
| 215 |
Je vous plains, car pour moi, dans ce peril extreme, |
| 216 |
Je saurai m'eloigner, ou vivre en quelque coin. |
| 217 |
Voyez-vous cette main qui, par les airs chemine ? |
| 218 |
Un jour viendra, qui n'est pas loin, |
| 219 |
Que ce qu'elle repand sera votre ruine. |
| 220 |
De la naitront engins a vous envelopper, |
| 221 |
Et lacets pour vous attraper, |
| 222 |
Enfin, mainte et mainte machine |
| 223 |
Qui causera dans la saison |
| 224 |
Votre mort ou votre prison : |
| 225 |
Gare la cage ou le chaudron ! |
| 226 |
C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle, |
| 227 |
Mangez ce grain et croyez-moi. >> |
| 228 |
Les oiseaux se moquerent d'elle : |
| 229 |
Ils trouvaient aux champs trop de quoi. |
| 230 |
Quand la cheneviere fut verte, |
| 231 |
L'hirondelle leur dit : << Arrachez brin a brin |
| 232 |
Ce qu'a produit ce mauvais grain, |
| 233 |
Ou soyez surs de votre perte. |
| 234 |
-Prophete de malheur, babillarde, dit-on, |
| 235 |
Le bel emploi que tu nous donnes ! |
| 236 |
Il nous faudrait mille personnes |
| 237 |
Pour eplucher tout ce canton. >> |
| 238 |
La chanvre etant tout a fait crue, |
| 239 |
L'hirondelle ajouta : << Ceci ne va pas bien ; |
| 240 |
Mauvaise graine est tot venue. |
| 241 |
Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien, |
| 242 |
Des que vous verrez que la terre |
| 243 |
Sera couverte, et qu'a leurs bles |
| 244 |
Les gens n'etant plus occupes |
| 245 |
Feront aux oisillons la guerre ; |
| 246 |
Quand reglingettes et reseaux |
| 247 |
Attraperont petits oiseaux, |
| 248 |
Ne volez plus de place en place, |
| 249 |
Demeurez au logis ou changez de climat : |
| 250 |
Imitez le canard, la grue ou la becasse. |
| 251 |
Mais vous n'etes pas en etat |
| 252 |
De passer, comme nous, les deserts et les ondes, |
| 253 |
Ni d'aller chercher d'autres mondes ; |
| 254 |
C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sur, |
| 255 |
C'est de vous enfermer aux trous de quelque mur. >> |
| 256 |
Les oisillons, las de l'entendre, |
| 257 |
Se mirent a jaser aussi confusement |
| 258 |
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre |
| 259 |
Ouvrait la bouche seulement. |
| 260 |
Il en prit aux uns comme aux autres : |
| 261 |
Maint oisillon se vit esclave retenu. |
| 262 |
Nous n'ecoutons d'instincts que ceux qui sont les notres |
| 263 |
Et ne croyons le mal que quand il est venu. |
| 264 |
Le Rat de ville et le Rat des champs |
| 265 |
Autrefois le rat des villes |
| 266 |
Invita le rat des champs |
| 267 |
D'une facon fort civile, |
| 268 |
A des reliefs d'ortolans |
| 269 |
Sur un tapis de Turquie |
| 270 |
Le couvert se trouva mis. |
| 271 |
Je laisse a penser la vie |
| 272 |
Que firent ces deux amis. |
| 273 |
Le regal fut fort honnete : |
| 274 |
Rien ne manquait au festin ; |
| 275 |
Mais quelqu'un troubla la fete |
| 276 |
Pendant qu'ils etaient en train. |
| 277 |
A la porte de la salle |
| 278 |
Ils entendirent du bruit : |
| 279 |
Le rat de ville detale, |
| 280 |
Son camarade le suit. |
| 281 |
Le bruit cesse, on se retire : |
| 282 |
Rats en campagne aussitot ; |
| 283 |
Et le citadin de dire : |
| 284 |
<< Achevons tout notre rot. |
| 285 |
- C'est assez, dit le rustique ; |
| 286 |
Demain vous viendrez chez moi. |
| 287 |
Ce n'est pas que je me pique |
| 288 |
De tous vos festins de roi ; |
| 289 |
Mais rien ne vient m'interrompre : |
| 290 |
Je mange tout a loisir. |
| 291 |
Adieu donc. Fi du plaisir |
| 292 |
Que la crainte peut corrompre ! >> |
| 293 |
Le Loup et l'Agneau |
| 294 |
La raison du plus fort est toujours la meilleure : |
| 295 |
Nous l'allons montrer tout a l'heure. |
| 296 |
Un Agneau se desalterait |
| 297 |
Dans le courant d'une onde pure. |
| 298 |
Un loup survient a jeun, qui cherchait aventure, |
| 299 |
Et que la faim en ces lieux attirait. |
| 300 |
<< Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? |
| 301 |
Dit cet animal plein de rage : |
| 302 |
Tu seras chatie de ta temerite. |
| 303 |
- Sire, repond l'agneau, que Votre Majeste |
| 304 |
Ne se mette pas en colere ; |
| 305 |
Mais plutot qu'elle considere |
| 306 |
Que je me vas desalterant |
| 307 |
Dans le courant, |
| 308 |
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ; |
| 309 |
Et que par consequent, en aucune facon |
| 310 |
Je ne puis troubler sa boisson. |
| 311 |
- Tu la troubles, reprit cette bete cruelle ; |
| 312 |
Et je sais que de moi tu medis l'an passe. |
| 313 |
- Comment l'aurais-je fait si je n'etais pas ne ? |
| 314 |
Reprit l'agneau ; je tette encor ma mere |
| 315 |
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frere. |
| 316 |
- Je n'en ai point. - C'est donc l'un des tiens ; |
| 317 |
Car vous ne m'epargnez guere, |
| 318 |
Vous, vos bergers et vos chiens. |
| 319 |
On me l'a dit : il faut que je me venge. >> |
| 320 |
La-dessus, au fond des forets |
| 321 |
Le loup l'emporte et puis le mange, |
| 322 |
Sans autre forme de proces. |
| 323 |
L'Homme et son image |
| 324 |
Pour M. le Duc de La Rochefoucauld |
| 325 |
Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux |
| 326 |
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde : |
| 327 |
Il accusait toujours les miroirs d'etre faux, |
| 328 |
Vivant plus que content dans une erreur profonde. |
| 329 |
Afin de le guerir, le sort officieux |
| 330 |
Presentait partout a ses yeux |
| 331 |
Les conseillers muets dont se servent nos dames : |
| 332 |
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands, |
| 333 |
Miroirs aux poches des galands, |
| 334 |
Miroirs aux ceintures des femmes. |
| 335 |
Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner |
| 336 |
Aux lieux les plus caches qu'il peut s'imaginer, |
| 337 |
N'osant plus des miroirs eprouver l'aventure. |
| 338 |
Mais un canal, forme par une source pure, |
| 339 |
Se trouve en ces lieux ecartes : |
| 340 |
Il s'y voit, il se fache, et ses yeux irrites |
| 341 |
Pensent apercevoir une chimere vaine. |
| 342 |
Il fait tout ce qu'il peut pour eviter cette eau ; |
| 343 |
Mais quoi ? Le canal est si beau |
| 344 |
Qu'il ne le quitte qu'avec peine. |
| 345 |
On voit bien ou je veux venir. |
| 346 |
Je parle a tous ; et cette erreur extreme |
| 347 |
Est un mal que chacun se plait d'entretenir. |
| 348 |
Notre ame, c'est cet homme amoureux de lui-meme ; |
| 349 |
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui, |
| 350 |
Miroirs, de nos defauts les peintres legitimes ; |
| 351 |
Et quant au canal, c'est celui |
| 352 |
Que chacun sait, le livre des Maximes. |
| 353 |
Le Dragon a plusieurs tetes et le Dragon a plusieurs queues |
| 354 |
Un envoye du Grand Seigneur |
| 355 |
Preferait, dit l'histoire, un jour chez l'empereur |
| 356 |
Les forces de son maitre a celles de l'Empire. |
| 357 |
Un allemand se mit a dire : |
| 358 |
<< Notre prince a des dependants |
| 359 |
Qui, de leur chef, sont si puissants |
| 360 |
Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armee. >> |
| 361 |
Le chiaoux, homme de sens, |
| 362 |
Lui dit : << Je sais par renommee |
| 363 |
Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ; |
| 364 |
Et cela me fait souvenir |
| 365 |
D'une aventure etrange, et qui pourtant est vraie. |
| 366 |
J'etais en un lieu sur, lorsque je vis passer |
| 367 |
Les cent tetes d'une hydre au travers d'une haie. |
| 368 |
Mon sang commence a se glacer ; |
| 369 |
Et je crois qu'a moins on s'effraie. |
| 370 |
Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal : |
| 371 |
Jamais le corps de l'animal |
| 372 |
Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture. |
| 373 |
Je revais a cette aventure, |
| 374 |
Quand un autre dragon, qui n'avait qu'un seul chef |
| 375 |
Et bien plus qu'une queue, a passer se presente. |
| 376 |
Me voila saisi derechef |
| 377 |
D'etonnement et d'epouvante. |
| 378 |
Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi : |
| 379 |
Rien ne les empecha ; l'un fit chemin a l'autre. |
| 380 |
Je soutiens qu'il en est ainsi |
| 381 |
De votre empereur et du notre. >> |
| 382 |
Les Voleurs et l'Ane |
| 383 |
Pour un ane enleve deux voleurs se battaient : |
| 384 |
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre. |
| 385 |
Tandis que coups de poing trottaient, |
| 386 |
Et que nos champions songeaient a se defendre, |
| 387 |
Arrive un troisieme larron |
| 388 |
Qui saisit maitre Aliboron. |
| 389 |
L'ane, c'est quelquefois une pauvre province : |
| 390 |
Les voleurs sont tel ou tel prince, |
| 391 |
Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois. |
| 392 |
Au lieu de deux, j'en ai rencontre trois : |
| 393 |
Il est assez de cette marchandise. |
| 394 |
De nul d'eux n'est souvent la province conquise : |
| 395 |
Un quart voleur survient, qui les accorde net |
| 396 |
En se saisissant du baudet. |
| 397 |
Simonide preserve par les Dieux |
| 398 |
On ne peut trop louer trois sortes de personnes : |
| 399 |
Les dieux, sa maitresse et son roi. |
| 400 |
Malherbe le disait, j'y souscris, quant a moi : |
| 401 |
Ce sont maximes toujours bonnes. |
| 402 |
La louange chatouille et gagne les esprits. |
| 403 |
Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payee. |
| 404 |
Simonide avait entrepris |
| 405 |
L'eloge d'un athlete ; et la chose essayee, |
| 406 |
Il trouva son sujet plein de recits tout nus. |
| 407 |
Les parents de l'athlete etaient gens inconnus ; |
| 408 |
Son pere, un bon bourgeois ; lui, sans autre merite ; |
| 409 |
Matiere infertile et petite. |
| 410 |
Le poete d'abord, parla de son heros. |
| 411 |
Apres en avoir dit ce qu'il en pouvait dire, |
| 412 |
Il se jette a cote, se met sur le propos |
| 413 |
De Castor et Pollux ; ne manque pas d'ecrire |
| 414 |
Que leur exemple etait aux lutteurs glorieux ; |
| 415 |
Eleve leurs combats, specifiant les lieux |
| 416 |
Ou ces freres s'etaient signales davantage ; |
| 417 |
Enfin l'eloge de ces dieux |
| 418 |
Faisait les deux tiers de l'ouvrage. |
| 419 |
L'athlete avait promis d'en payer un talent ; |
| 420 |
Mais quand il le vit, le galand |
| 421 |
N'en donna que le tiers ; et dit fort franchement |
| 422 |
Que Castor et Pollux acquittassent le reste. |
| 423 |
<< Faites vous contenter par ce couple celeste. |
| 424 |
Je veux vous traiter cependant : |
| 425 |
Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie : |
| 426 |
Les convies sont gens choisis, |
| 427 |
Mes parents, mes meilleurs amis, |
| 428 |
Soyez donc de la compagnie. >> |
| 429 |
Simonide promit. Peut-etre qu'il eut peur |
| 430 |
De perdre, outre son du, le gre de sa louange. |
| 431 |
Il vient : l'on festine, l'on mange. |
| 432 |
Chacun etant en belle humeur, |
| 433 |
Un domestique accourt, l'avertit qu'a la porte |
| 434 |
Deux hommes demandaient a le voir promptement. |
| 435 |
Il sort de table ; et la cohorte |
| 436 |
N'en perd pas un seul coup de dent. |
| 437 |
Ces deux hommes etaient les gemeaux de l'eloge. |
| 438 |
Tous deux lui rendent grace, et, pour prix de ses vers, |
| 439 |
Ils l'avertissent qu'il deloge, |
| 440 |
Et que cette maison va tomber a l'envers. |
| 441 |
La prediction en fut vraie. |
| 442 |
Un pilier manque ; et le plafond |
| 443 |
Ne trouvant plus rien qui l'etaie, |
| 444 |
Tombe sur le festin, brise plats et flacons, |
| 445 |
N'en fait pas moins aux echansons. |
| 446 |
Ce ne fut pas le pis, car pour rendre complete |
| 447 |
La vengeance due au poete, |
| 448 |
Une poutre cassa les jambes a l'athlete, |
| 449 |
Et renvoya les convies |
| 450 |
Pour la plupart estropies. |
| 451 |
La renommee eut soin de publier l'affaire : |
| 452 |
Chacun cria miracle. |
| 453 |
On doubla le salaire |
| 454 |
Que meritaient les vers d'un homme aime des dieux. |
| 455 |
Il n'etait fils de bonne mere |
| 456 |
Qui, les payant a qui mieux mieux, |
| 457 |
Pour ses ancetres n'en fit faire. |
| 458 |
Je reviens a mon texte, et dis premierement |
| 459 |
Qu'on ne saurait manquer de louer largement |
| 460 |
Les dieux et leurs pareils, de plus que Melpomene |
| 461 |
Souvent, sans deroger, trafique de sa peine ; |
| 462 |
Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix. |
| 463 |
Les grands se font honneur des lors qu'ils nous font grace : |
| 464 |
Jadis l'Olympe et le Parnasse |
| 465 |
Etaient freres et bons amis. |
| 466 |
La Mort et le Malheureux |
| 467 |
Un malheureux appelait tous les jours |
| 468 |
La mort a son secours |
| 469 |
<< O Mort, lui disait-il, que tu me sembles belle ! |
| 470 |
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle ! >> |
| 471 |
La mort crut, en venant, l'obliger en effet. |
| 472 |
Elle frappe a sa porte, elle entre, elle se montre. |
| 473 |
<< Que vois-je ? cria-t-il : otez-moi cet objet ; |
| 474 |
Qu'il est hideux ! que sa rencontre |
| 475 |
Me cause d'horreur et d'effroi |
| 476 |
N'approche pas, o Mort ! o Mort, retire-toi ! >> |
| 477 |
Mecenas fut un galant homme ; |
| 478 |
Il a dit quelque part : << Qu'on me rende impotent. |
| 479 |
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme |
| 480 |
Je vive, c'est assez, je suis plus que content. >> |
| 481 |
Ne viens jamais, o Mort ; on t'en dit tout autant. |
| 482 |
La Mort et le Bucheron |
| 483 |
Un pauvre bucheron, tout couvert de ramee, |
| 484 |
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans |
| 485 |
Gemissant et courbe, marchait a pas pesants, |
| 486 |
Et tachait de gagner sa chaumine enfumee. |
| 487 |
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, |
| 488 |
Il met bas son fagot, il songe a son malheur. |
| 489 |
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ? |
| 490 |
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? |
| 491 |
Point de pain quelquefois et jamais de repos. |
| 492 |
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impots, |
| 493 |
Le creancier et la corvee |
| 494 |
Lui font d'un malheureux la peinture achevee. |
| 495 |
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder, |
| 496 |
Lui demande ce qu'il faut faire. |
| 497 |
<< C'est, dit-il, afin de m'aider |
| 498 |
A recharger ce bois, tu ne tarderas guere. >> |
| 499 |
Le trepas vient tout guerir ; |
| 500 |
Mais ne bougeons d'ou nous sommes : |
| 501 |
Plutot souffrir que mourir, |
| 502 |
C'est la devise des hommes. |
| 503 |
L'Homme entre deux ages et ses deux Maitresses |
| 504 |
Un homme de moyen age, |
| 505 |
Et tirant sur le grison |
| 506 |
Jugea qu'il etait saison |
| 507 |
De songer au mariage. |
| 508 |
Il avait du comptant, |
| 509 |
Et partant |
| 510 |
De quoi choisir ; toutes voulaient lui plaire : |
| 511 |
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ; |
| 512 |
Bien adresser n'est pas petite affaire. |
| 513 |
Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part : |
| 514 |
L'une encor verte, et l'autre un peu bien mure, |
| 515 |
Mais qui reparait par son art |
| 516 |
Ce qu'avait detruit la nature. |
| 517 |
Ces deux veuves, en badinant, |
| 518 |
En riant, en lui faisant fete, |
| 519 |
L'allaient quelquefois testonnant, |
| 520 |
C'est a dire ajustant sa tete. |
| 521 |
La vieille, a tous moments, de sa part emportait |
| 522 |
Un peu du poil noir qui restait |
| 523 |
Afin que son amant en fut plus a sa guise. |
| 524 |
La jeune saccageait les poils blancs a son tour. |
| 525 |
Toutes deux firent tant, que notre tete grise |
| 526 |
Demeura sans cheveux, et se douta du tour. |
| 527 |
<< Je vous rends, leur dit-il, mille graces, les belles, |
| 528 |
Qui m'avez si bien tondu : |
| 529 |
J'ai plus gagne que perdu ; |
| 530 |
Car d'hymen point de nouvelles. |
| 531 |
Celle que je prendrais voudrait qu'a sa facon |
| 532 |
Je vecusse, et non a la mienne. |
| 533 |
Il n'est tete chauve qui tienne. |
| 534 |
Je vous suis oblige, belles, de la lecon. >> |
| 535 |
Le Renard et la Cigogne |
| 536 |
Compere le renard se mit un jour en frais, |
| 537 |
Et retint a diner commere la cigogne. |
| 538 |
Le regal fut petit et sans beaucoup d'apprets : |
| 539 |
Le galand, pour toute besogne, |
| 540 |
Avait un brouet clair : il vivait chichement. |
| 541 |
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette : |
| 542 |
La cigogne au long bec n'en put attraper miette, |
| 543 |
Et le drole eut lape le tout en un moment. |
| 544 |
Pour se venger de cette tromperie, |
| 545 |
A quelque temps de la, la cigogne le prie. |
| 546 |
<< Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis, |
| 547 |
Je ne fais point ceremonie. >> |
| 548 |
A l'heure dite, il courut au logis |
| 549 |
De la cigogne son hotesse ; |
| 550 |
Loua tres fort sa politesse ; |
| 551 |
Trouva le diner cuit a point : |
| 552 |
Bon appetit surtout, renards n'en manquent point. |
| 553 |
Il se rejouissait a l'odeur de la viande |
| 554 |
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. |
| 555 |
On servit, pour l'embarrasser, |
| 556 |
En un vase a long col et d'etroite embouchure. |
| 557 |
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer ; |
| 558 |
Mais le museau du sire etait d'autre mesure. |
| 559 |
Il lui fallut a jeun retourner au logis, |
| 560 |
Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris, |
| 561 |
Serrant la queue, et portant bas l'oreille. |
| 562 |
Trompeurs, c'est pour vous que j'ecris : |
| 563 |
Attendez-vous a la pareille. |
| 564 |
L'Enfant et le Maitre d'ecole |
| 565 |
Dans ce recit je pretends faire voir |
| 566 |
D'un certain sot la remontrance vaine. |
| 567 |
Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir |
| 568 |
En badinant sur les bords de la Seine. |
| 569 |
Le ciel permit qu'un saule se trouva, |
| 570 |
Dont le branchage, apres Dieu, le sauva. |
| 571 |
S'etant pris, dis-je, aux branches de ce saule, |
| 572 |
Par cet endroit passe un maitre d'ecole ; |
| 573 |
L'enfant lui crie : << Au secours, je peris. >> |
| 574 |
Le magister, se tournant a ses cris, |
| 575 |
D'un ton fort grave a contretemps s'avise |
| 576 |
De le tancer : << Ah ! le petit babouin ! |
| 577 |
Voyez, dit-il, ou l'a mis sa sottise ! |
| 578 |
Et puis, prenez de tels fripons le soin. |
| 579 |
Que les parents sont malheureux qu'il faille |
| 580 |
Toujours veiller a semblable canaille ! |
| 581 |
Qu'ils ont de maux ! et que je plains leur sort. >> |
| 582 |
Ayant tout dit, il mit l'enfant a bord. |
| 583 |
Je blame ici plus de gens qu'on ne pense. |
| 584 |
Tout babillard, tout censeur, tout pedant |
| 585 |
Se peut connaitre au discours que j'avance. |
| 586 |
Chacun des trois fait un peuple fort grand : |
| 587 |
Le createur en a beni l'engeance. |
| 588 |
En toute affaire ils ne font que songer |
| 589 |
Aux moyens d'exercer leur langue. |
| 590 |
Eh ! mon ami, tire-moi du danger, |
| 591 |
Tu feras apres ta harangue. |
| 592 |
Le Coq et la Perle |
| 593 |
Un jour un coq detourna |
| 594 |
Une perle qu'il donna |
| 595 |
Au beau premier lapidaire. |
| 596 |
<< Je la crois fine, dit-il ; |
| 597 |
Mais le moindre grain de mil |
| 598 |
Serait bien mieux mon affaire. >> |
| 599 |
Un ignorant herita |
| 600 |
D'un manuscrit qu'il porta |
| 601 |
Chez son voisin le libraire. |
| 602 |
<< Je crois, dit-il qu'il est bon ; |
| 603 |
Mais le moindre ducaton |
| 604 |
Serait bien mieux mon affaire. >> |
| 605 |
Les Frelons et les Mouches a miel |
| 606 |
A l'oeuvre on connait l'artisan. |
| 607 |
Quelques rayons de miel sans maitre se trouverent : |
| 608 |
Des frelons les reclamerent ; |
| 609 |
Des abeilles s'opposant, |
| 610 |
Devant certaine guepe on traduisit la cause. |
| 611 |
Il etait malaise de decider la chose : |
| 612 |
Les temoins deposaient qu'autour de ces rayons |
| 613 |
Des animaux ailes, bourdonnant, un peu longs, |
| 614 |
De couleur fort tannee, et tels que les abeilles, |
| 615 |
Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les frelons |
| 616 |
Ces enseignes etaient pareilles. |
| 617 |
La guepe, ne sachant que dire a ces raisons, |
| 618 |
Fit enquete nouvelle, et pour plus de lumiere, |
| 619 |
Entendit une fourmiliere. |
| 620 |
Le point n'en put etre eclairci. |
| 621 |
<< De grace, a quoi bon tout ceci ? |
| 622 |
Dit une abeille fort prudente. |
| 623 |
Depuis tantot six mois que la cause est pendante, |
| 624 |
Nous voici comme aux premiers jours. |
| 625 |
Pendant cela le miel se gate. |
| 626 |
Il est temps desormais que le juge se hate : |
| 627 |
N'a-t-il point assez leche l'ours ? |
| 628 |
Sans tant de contredits, et d'interlocutoires, |
| 629 |
Et de fatras et de grimoires, |
| 630 |
Travaillons, les frelons et nous : |
| 631 |
On verra qui sait faire, avec un suc si doux, |
| 632 |
Des cellules si bien baties >> |
| 633 |
Le refus des frelons fit voir |
| 634 |
Que cet art passait leur savoir ; |
| 635 |
Et la guepe adjugea le miel a leurs parties. |
| 636 |
Plut a Dieu qu'on reglat ainsi tous les proces : |
| 637 |
Que des turcs en cela l'on suivit la methode ! |
| 638 |
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code : |
| 639 |
Il ne faudrait point tant de frais ; |
| 640 |
Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge, |
| 641 |
On nous mine par des longueurs ; |
| 642 |
On fait tant, a la fin, que l'huitre est pour le juge, |
| 643 |
Les ecailles pour les plaideurs. |
| 644 |
Le Chene et le Roseau |
| 645 |
Le chene un jour dit au roseau : |
| 646 |
<< Vous avez bien sujet d'accuser la nature ; |
| 647 |
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ; |
| 648 |
Le moindre vent qui d'aventure |
| 649 |
Fait rider la face de l'eau, |
| 650 |
Vous oblige a baisser la tete. |
| 651 |
Cependant que mon front, au Caucase pareil, |
| 652 |
Non content d'arreter les rayons du soleil, |
| 653 |
Brave l'effort de la tempete. |
| 654 |
Tout vous est aquilon, tout me semble zephyr. |
| 655 |
Encor si vous naissiez a l'abri du feuillage |
| 656 |
Dont je couvre le voisinage, |
| 657 |
Vous n'auriez pas tant a souffrir : |
| 658 |
Je vous defendrai de l'orage ; |
| 659 |
Mais vous naissez le plus souvent |
| 660 |
Sur les humides bords des royaumes du vent. |
| 661 |
La nature envers vous me semble bien injuste. |
| 662 |
- Votre compassion, lui repondit l'arbuste, |
| 663 |
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci : |
| 664 |
Les vents me sont moins qu'a vous redoutables ; |
| 665 |
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici |
| 666 |
Contre leurs coups epouvantables |
| 667 |
Resiste sans courber le dos ; |
| 668 |
Mais attendons la fin. >> Comme il disait ces mots, |
| 669 |
Du bout de l'horizon accourt avec furie |
| 670 |
Le plus terrible des enfants |
| 671 |
Que le nord eut porte jusque la dans ses flancs. |
| 672 |
L'arbre tient bon ; le roseau plie. |
| 673 |
Le vent redouble ses efforts, |
| 674 |
Et fait si bien qu'il deracine |
| 675 |
Celui de qui la tete au ciel etait voisine, |
| 676 |
Et dont les pieds touchaient a l'empire des morts. |
Комментарии